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This is Tennis '17

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Le tennis masculin au Moyen-Orient : un petit Poucet à l'échelle mondiale ?

Publié par Charles-Eric Duvic sur 16 Octobre 2019, 14:48pm

Catégories : #Actualité

Le tennis masculin au Moyen-Orient : un petit Poucet à l’échelle mondiale ?

 

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Ismaïl el Shafei, meilleur joueur égyptien de l’histoire, connu pour avoir battu Borg à Wimbledon en 1974

           

            Bien que l’on réduise (bien) trop souvent  le Moyen-Orient à une région à problèmes, l’histoire et la culture de cette région sont d’une richesse inégalable mais malheureusement peu connue. Cette culture, tant musicale et littéraire qu’artistique, passe également par le sport, et notamment par le football, dominé au niveau régional par l’Egypte et les pays du Maghreb (Maroc, Tunisie, Algérie). Pourtant, contrairement à ce que beaucoup pourraient penser, le football n’est pas le seul sport dans lequel le Moyen-Orient a pu s’illustrer : plusieurs sportifs arabes brillent ainsi en escrime, en natation et en handball. L’exemple le plus frappant est sans aucun doute le squash, où les 3 premiers mondiaux sont égyptiens, l’Egypte comptant par ailleurs 5 des 10 meilleurs joueurs du monde ! Alors, qu’en est-il du tennis ? Loin d’être cantonnés aux profondeurs du classement ATP, une dizaine de joueurs issus de pays du Moyen-Orient ont frôlé les hauteurs du classement, et se sont illustrés sur les plus grandes scènes du tennis mondial. De nombreux tournois se déroulent ainsi au Moyen-Orient (Dubaï, Doha, Marrakech), mais peu de joueurs de ces pays s’y illustrent. Ce phénomène a-t-il toujours été vrai ?

            Dans cet article, nous traiterons des meilleurs joueurs du tennis masculin issus du Moyen-Orient, afin de tenter de leur rendre hommage, eux qui ont été si souvent oubliés ou négligés, alors que leur talent était immense. Mais de quels pays parlerons-nous exactement ? Nous traiterons ici des pays du Moyen-Orient réduit, c’est-à-dire limité au monde arabe (Maghreb, Egypte, Mashrek, et péninsule arabique), au monde hébreu et au monde persan. Les pays plus lointains, comme l’Afghanistan, le Kazakhstan, l’Ouzbékistan ou le Pakistan, qui ont connu (et connaissent encore) de très bons joueurs, ne seront pas abordés ici, comme le monde turc, l’Arménie ou l’Azerbaïdjan qui font pourtant partie du Moyen-Orient. Ils feront peut-être l’objet d’un article  prochain.

Un article sur le tennis féminin issu du Moyen-Orient est également prévu.

 

Une apparition brève mais importante du tennis arabe

Alors que le tennis passe à l’ère Open en 1968 et que les premiers records et performances sont enregistrés de manière plus officielle, un premier joueur issu du Moyen-Orient s’affirme sur la scène internationale. Il s’agit de l’Egyptien Ismaïl el-Shafei (الشافعي إسماعيل en arabe), professionnel de 1963 à 1982, qui fut 34e mondial en simple et 26e en double, à l’apogée de sa carrière. Il a gagné 10 titres dont un en simple, à Manille en 1974, et neuf en double. Il est principalement connu pour sa saison 1974, pendant laquelle il remporte son unique titre en simple et se qualifie quelques mois après pour les quarts de finale du tournoi de Wimbledon en éliminant notamment le numéro 5 mondial Björn Borg au 3e tour en 3 manches (6-2 ; 6-3 ; 6-1), alors que ce dernier venait de s’imposer Porte d’Auteuil. Borg a ensuite gagné 5 éditions consécutives entre 1976 et 1980, prenant notamment sa revanche sur el-Shafei en 1980. L’Egyptien a marqué l’histoire du sport de son pays, d’abord en étant le premier Egyptien à remporter un tournoi junior du Grand Chelem (Wimbledon 1964) puis en aidant à la création de l’Egyptian Open qui s’est tenu au Caire entre 1975 et 1982, et lors duquel des joueurs comme François Jauffret (1977) ou Guillermo Vilas (1981) se sont imposés. L’unique édition féminine (1999) avait vu Arantxa Sanchez, Patty Schnyder et Mary Pierce participer, l’Espagnole s’imposant. A noter que el-Shafei est le plus titré de l’histoire du tournoi (3 titres en double) et qu’après la fin de sa carrière, il a entraîné l’équipe égyptienne de Coupe Davis et a intégré les plus hautes sphères de la Fédération Internationale de Tennis (ITF), d’abord au niveau national puis au niveau mondial.

Une dizaine d’années plus tard, un autre joueur issu du Moyen-Orient s’illustre, notamment en double. Jouant sous les couleurs de l’Iran, Mansour Bahrami (منصور بهرامي en persan) s’est fait connaître pour son tennis créatif et facétieux, et quelques coups d’éclat en double.  Professionnel de 1975 à 1992, il n’a occupé que la 192e place mondiale en simple au plus fort de sa carrière mais a atteint le 31e rang en double. Doté d’une main exceptionnelle,  il a gagné 2 titres et perdu 10 finales dans cette discipline, s’imposant à Genève en 1988 et à Toulouse en 1989. Il atteint surtout la finale du double messieurs à Roland Garros en 1989. En 1987 déjà, il avait atteint (et perdu) la finale du double à Monte Carlo. Bahrami est avant tout un exemple de persévérance, ayant dû tenter de jouer au tennis au plus haut niveau alors que la révolution avait éclaté en Iran (1979). Il a beaucoup lutté pour conserver son visa alors qu’il était en France et a passé un temps dans la rue, refusant le statut de réfugié politique ne se reconnaissant pas dans le terme de « réfugié ». Il est ainsi un exemple des difficultés que peuvent connaître les joueurs du Moyen-Orient, condamnés à faire avec des situations politiques parfois très complexes.

 

Une génération marocaine en or : l’ère des « trois mousquetaires »

            Si les années 1980 n’assistent pas à l’éclosion de grands champions issus du monde arabe ou d’autres régions moyen-orientales, les années 1990 sont en revanche très prolifiques. Par ailleurs, si les années 1960 et 1970 avaient produit de très bons joueurs issus de cette région mais de manière sporadique et éparse, la génération de joueurs marocains qui évolua entre 1990 et 2008 constitue une première qui place un petit pays sur le devant de la scène mondiale, faisant du Maroc un concurrent direct des Etats-Unis, de la France ou de l’Espagne en tant que pays du tennis.

            Le joueur le plus brillant de cette génération de mousquetaires marocains est sans aucun doute Younès el Aynaoui (يونس العيناوي en arabe). Professionnel entre 1990 et 2008, il a atteint la 14e place mondiale en 2003, restant jusqu’à ce jour le meilleur joueur de l’histoire du monde arabe (et du Moyen-Orient). Il a gagné 5 titres et atteint 11 autres finales en simple, s’imposant notamment à Doha en 2001 et à Casablanca en 2002. Il s’est également illustré dans les tournois du Grand Chelem, en atteignant les ¼ de finale de l’Open d’Australie en 2000 et 2003 (défaites face à Kafelnikov et Roddick), et à l’US Open en 2002 et 2003 (défait par Hewitt et Nalbandian). Son match le plus fameux reste sa défaite à l’Open d’Australie face à Andy Roddick en 2003, lors de laquelle il s’incline 6-4 ; 6-7 ; 6-4 ; 4-6 ; 19-21 dans le 2e match le plus long de l’histoire du tournoi. Pratiquant un tennis assez offensif et n’hésitant pas à monter à la volée, el Aynaoui a marqué les années 1990-2000. Prix d’honneur de l’ATP en 1992, il est connu pour avoir décidé de jouer un set supplémentaire à la Halle en 2003 alors qu’il avait étrillé le joueur local Christopher Koderisch (alors 1355e mondial) en 49 minutes.

Quelques points du ¼ entre Roddick et el Aynaoui : https://www.youtube.com/watch?v=YMcyFPA7q88

 

            Partenaire d’el Aynaoui en Coupe Davis, Karim Alami (كريم علمي en arabe), professionnel entre 1990 et 2003, était également parmi les meilleurs joueurs du monde à la fin des années 1990. 25e mondial en février 2000, il a remporté 2 tournois en 1996 (Atlanta et Palerme) avant d’atteindre le 3e tour à l’Open d’Australie en 2000, où il s’incline face à l’Allemand Nicolas Kiefer. Un de ses plus grands coups d’éclat reste sa victoire face à Pete Sampras, alors n°1 mondial, au tournoi de Doha (le Marocain n’était alors que 205e mondial) en 1994.

            Le 3e joueur marocain de cette génération dorée est Hicham Arazi (هشام ﺍﺭﺍزي en arabe), professionnel entre 1993 et 2007. Vainqueur à Casablanca en 2007, il avait atteint dès 2001 la 22e place mondiale et atteint la finale du Masters de Monte Carlo. Deux fois quart de finaliste à Roland Garros (1997 et 1998), il a également atteint les ¼ de finale à l’Open d’Australie en 2000 où il fut seulement stoppé par Andre Agassi. Il a battu 13 membres du top 10 dans sa carrière, dont Agassi (Indian Wells 2000), Kafelnikov (Dubaï 1998), Federer (Roland Garros 2002) ou Hewitt (Masters du Canada 2001).

            Cette génération de tennismen marocains a représenté le monde arabe et le Moyen-Orient sur la scène mondiale, permettant même à l’équipe marocaine de se hisser dans le groupe mondial en Coupe Davis, battue au 1er tour en 2001 par le Brésil de Gustavo Kuerten, en 2002 par l’Espagne de Juan-Carlos Ferrero et en 2004 par l’Argentine de Nalbandian.

 

Les années 2000 et l’apogée du tennis israélien

            Les années 2000 voient progressivement le tennis arabe reculer, au profit du tennis israélien, autour de deux joueurs principaux.

            Professionnel depuis 1996, Jonathan Erlich (יונתן דאריו "יוני" ארליך en hébreu) a été l’un des meilleurs joueurs du monde en double dans les années 2000. En effet, s’il n’a pas été mieux classé que 292e en simple, il s’est hissé à la 5e place mondiale en double en 2008 après avoir remporté l’Open d’Australie avec son compatriote Andy Ram. Il a gagné 21 autres titres dans cette discipline et disputé 20 autres finales, s’imposant entre autres à Cincinnati en 2007 et à Indian Wells en 2008. Il a été l’un des joueurs les plus prolifiques de sa discipline jusqu’au début des années 2010, faisant évoluer le double israélien au plus haut niveau avec Andy Ram (également 5e mondial) et Harel Levy. Il a même participé aux ATP Finals à Shanghai en 2007 et 2008, s’inclinant à deux reprises lors des phases de poule. Encore en activité, son dernier coup d’éclat est d’avoir disputé la ½ finale du double à Wimbledon avec l’Allemand Philipp Petzschner en 2015.

            Le meilleur joueur israélien de l’histoire reste Dudi Sela (דודי סלע en hébreu), professionnel depuis 2002 et 29e mondial en 2009. S’il n’a jamais remporté de finale en titre sur le circuit ATP, il s’est néanmoins imposé à 23 reprises sur le circuit Challenger, et pour la dernière fois à Little Rock en juin 2019. Il a atteint le 3e tour de l’Open d’Australie en 2016, en battant Verdasco au 2e tour. Mais il est surtout connu pour avoir mené l’équipe israélienne de Coupe Davis en demi-finale de la compétition en 2009 : il bat successivement Thomas Johansson et Mikhail Youzhny (à Tel Aviv) pour permettre à son équipe d’affronter l’Espagne de David Ferrer, contre laquelle elle s’incline. S’inclinant au 1er tour face au Chili de Nicolás Massú en 2010, Israël a depuis quitté le groupe mondial et évolue au niveau régional. Sela a battu 3 top-10 dans sa carrière, entre 2007 et 2010.

 

Actuellement, un règne sans partage égypto-tunisien

            Le tennis arabe semblait avoir sombré au début des années 2010, après la fin de la carrière des trois mousquetaires marocains. Alors que Jonathan Erlich et Dudi Sela s’apprêtent à raccrocher leur raquette (Sela a annoncé qu’il pensait bientôt arrêter), où en est le tennis moyen-oriental à la fin des années 2010 ? Quels pays semblent tirer leur épingle du jeu ?

            Le n°1 arabe, et ce depuis de nombreuses années maintenant, est Malek Jaziri (الجزيري مالك en arabe). Le Tunisien, professionnel depuis 2002, a atteint en janvier 2019 la  42e place mondiale, signant ainsi le meilleur classement enregistré par un joueur issu d’un pays arabe depuis le début des années 2000. Il a atteint une finale sur le circuit ATP, à Istanbul en 2018 (perdue face à Taro Daniel). Il évolue depuis longtemps maintenant dans le top 100 et a affronté les plus grands joueurs, prenant ainsi un set à Roger Federer à Dubaï en 2013 (défaite 7-5 ; 0-6 ; 2-6) et battant Dimitrov dans le même tournoi en 2018 cette fois (4-6 ; 7-5 ; 6-4).  Jouant régulièrement pour la Tunisie en Coupe Davis, son principal fait d’arme est d’avoir atteint les ½ finales du double messieurs de l’US Open 2018 avec le Moldave Radu Albot, seulement battus par la paire Kubot/Melo. Il est le meilleur joueur arabe et tente de mener une jeune génération à prendre sa relève, constituée par Skander Mansouri et Aziz Dougaz.

            Le 2e meilleur joueur arabe est sans aucun doute l’Egyptien Mohamed Safwat (صفوت  محمد en arabe), professionnel depuis la fin des années 2000 (il a disputé sa 1e rencontre de Coupe Davis en 2009, à seulement 19 ans). S’il ne s’est jamais imposé sur le circuit ATP ni sur le circuit Challenger, il a néanmoins remporté 3 finales en double en Challenger. Il a atteint la 163e place mondiale en 2018, après s’être qualifié pour le tableau principal de Roland Garros, où il s’était incliné avec les  honneurs face à Grigor Dimitrov, alors membre du top 10. Il a affronté de nombreux très bons joueurs comme Monfils, Dimitrov, Baghdatis, Tomić, López ou Haase (qu’il a battu en 3 sets), et a disputé plus d’une quarantaine de matchs pour l’équipe égyptienne de Coupe Davis. En 2018, avec Karim-Mohamed Maamoun et Youssef Hossam, il mène son équipe au 3e tour du groupe Europe/Afrique II, en battant la Norvège de Casper Ruud (alors absent) et le Danemark de Frederik Nielsen. Très régulier depuis 10 ans, il a connu son heure de gloire à l’été 2019 quand il a remporté l’or continental aux Jeux africains en ne perdant pas un set de la compétition (il avait quitté Rabat avec 3 médailles). Il disputera ainsi les Jeux de Tokyo en 2020. D’un naturel gentil et très accrocheur, il est un joueur que j’apprécie beaucoup personnellement. Il constitue l’exemple même des joueurs issus de plus petits pays et n’ayant pas les moyens de joueurs issus de grandes fédérations, mais exploitant à fond son potentiel.

            Le tennis arabe connaît ainsi de belles heures, avec la Tunisie et l’Egypte en chefs de file (c’est également le cas pour le tennis féminin, qui sera abordé dans un prochain article). Des joueurs expérimentés comme Jaziri et Safwat, ou des joueurs plus jeunes comme Dougaz (né en 1997) ou Hossam (1998) portent ainsi les couleurs du Moyen-Orient et tentent de tirer leur épingle du jeu.

Les highlights de la rencontre Grigor Dimitrov et Mohamed Safwat :  https://www.youtube.com/watch?v=KUHuWKsQVDc

 

           Le Moyen-Orient est ainsi une région contrastée qui comporte des pays très pauvres ou avec des situations politiques très complexes. Si le tennis n'est pas le sport le plus pratiqué au Moyen-Orient (la preuve en est, ce sont des  termes anglais qui sont utilisés en arabe pour désigner les coups du tennis comme le coup droit ou le revers), ce n'est pas pour autant que le tennis moyen-oriental est avare en talent. Cette petite dizaine de joueurs présentée ici n’est qu’un échantillon de très bons joueurs qui méritent d’être connus. Ils ont réussi à marquer leur génération, et cela méritait d’être souligné !

 

Charles-Eric Duvic

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